27 janvier 2025

Le Plan Mattei : quelques clés de lecture du projet italien pour l’Afrique

Le 27/01/2025

 Dans Les articles du CSI

Enjeux et perspectives du Plan Mattei : une initiative ambitieuse lancée par le gouvernement italien pour renforcer les relations entre l’Italie et l’Afrique.

Rédigé par : Titouan BRAUX SALVAYRE.

L’article en quelques mots :

Il y a presque un an, le 29 janvier 2024, durant la présidence italienne du G7, le gouvernement italien a orchestré à Rome une conférence Italie-Afrique. Ce sommet, rassemblant 26 chefs d’État et de gouvernement africains ainsi que de nombreuses délégations européennes de haut niveau, dont Ursula von der Leyen et les principales agences des Nations Unies, a marqué un succès diplomatique notable pour l’administration de Giorgia Meloni.

Cette initiative s’inscrit dans le cadre du Plan Mattei, un projet ambitieux de renforcement des relations entre l’Italie et l’Afrique, présenté comme une alternative aux approches européennes traditionnelles. Ce projet avait été annoncé dès Octobre 2022 : Giorgia Meloni l’avait évoqué durant son discours d’investiture devant la Chambre des Députés, dans un but de relance des rapports italo-africains avec pour objectifs globaux la lutte contre l’immigration massive directement à la source et l’endiguement du radicalisme islamiste.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni à la Commission européenne à Bruxelles, le 20 décembre 2024. © Simon Wohlfahrt / AFP)

Le discours de 2022 sur le Plan Mattei se présentait comme un manifeste politique visant à initier un mécanisme, sans s’appuyer sur une stratégie détaillée, au grand désarroi des chancelleries européennes qui espéraient un texte concret. Ce discours inaugural de Giorgia Meloni, bien que porteur de conséquences, a engendré un processus lent, avec la mise en place en novembre 2023 d’une structure de coordination sous l’autorité du Premier ministre. Ce n’est qu’à la Conférence Italie-Afrique de janvier 2024 que des actions concrètes ont commencé à émerger, le Plan Mattei se révélant être davantage une méthode qu’une planification rigoureuse.

Mi-juillet 2024, le Plan stratégique Italie-Afrique : Plan Mattei a été dévoilé plus en détail dans un document stratégique accompagnant le décret du Président du Conseil des ministres. Ce document met en avant l’importance du partenariat entre l’Italie et l’Afrique, détaille les critères d’intervention et fixe les objectifs du Plan. Ce dernier vise à promouvoir une croissance durable sur le continent, tout en garantissant le « droit de ne pas migrer » des populations locales, assurant ainsi stabilité et sécurité, ainsi qu’un cadre propice à des relations économiques renforcées entre l’Italie et ses partenaires africains.

Contexte historique et évolution de la politique africaine de l’Italie

La conférence Italie-Afrique de janvier 2024 met en lumière le développement d’une politique africaine par l’Italie, autrefois difficilement identifiable. Malgré des liens d’intérêts et de réseaux avec l’Afrique, l’Italie ne revendiquait ni n’organisait une politique africaine cohérente. Un tournant s’est opéré sous Matteo Renzi, qui entre 2014 et 2016 a effectué plusieurs visites en Afrique, affirmant ainsi une vision et une capacité d’initiative. Avant Renzi, la politique africaine italienne était une non-politique, bien que ses composantes permettent de mieux comprendre l’action actuelle. Marco Minniti, sous le gouvernement Gentiloni, a poursuivi cette orientation en prônant le traitement des causes de l’immigration à la source, axé sur le développement en Afrique.

L’impulsion donnée par Giorgia Meloni s’inscrit dans cette continuité. Son gouvernement cherche à établir un partenariat d’égal à égal avec les pays africains, en se démarquant des approches coloniales passées. L’évocation du Plan Mattei revêt une symbolique forte, faisant référence à Enrico Mattei, fondateur de l’ENI, qui dans les années 1950 établit des contrats favorables au développement avec les pays de la rive sud. Giorgia Meloni affirme une continuité avec une politique étrangère nationale centrée sur l’approvisionnementénergétique, incarnée par ENI. Le Plan Mattei symbolise un éloignement des traditions diplomatiques classiques italiennes, souvent perçues comme un frein au réformisme. Cette vision met en avant l’autonomie de l’Italie en Afrique, rappelant les contrats de développement d’ENI dans les années 1950, et souligne une rivalité persistante avec la France, notamment au Maghreb, où l’ENI soutenait l’Algérie durant son indépendance, ce qui évoque les rivalités historiques et la mort controversée de Mattei en 1962.

ENI, un groupe économiquement solide et discret dans ses stratégies internationales, se retrouve au cœur de l’initiative africaine du gouvernement italien, une démarche délicate pour l’entreprise. En 2023, un travail de médiation a été mené pour donner du contenu au Plan Mattei, aligné sur les orientations traditionnelles d’ENI. Face à la guerre en Ukraine, ENI avait déjà réorienté sa stratégie pour réduire sa dépendance au gaz russe et diversifier ses sources, notamment en Afrique, une démarche amorcée sous le gouvernement Draghi, avant même d’être associée au Plan Mattei. Outre Eni, Leonardo, Fincantieri et ENEL illustrent des entreprises privées sous contrôle partiel du Trésor via un actionnariat minoritaire, incarnant à divers degrés un intérêt italien. Ces entreprises disposent souvent de capacités stratégiques supérieures à celles des administrations de tutelle. Lorsqu’il est question de l’Afrique, ENI est inévitablement mentionnée, mais d’autres acteurs comme ENEL émergent également, notamment dans le cadre des investissements en énergies renouvelables liés au Plan Mattei.

Au-delà de ces grandes entreprises, d’autres acteurs existent. Les petites et moyennes entreprises italiennes ont une forte inclination à exporter, y compris vers l’Afrique. Cependant, l’Italie fait face à un déficit commercial avec ce continent, dû principalement aux importations d’énergie, surtout en gaz en provenance d’Algérie et de Libye. Malgré ce déséquilibre, certains secteurs voient une croissance dans les exportations italiennes vers l’Afrique.

L’Afrique joue un rôle crucial pour l’Église catholique, avec de nombreux acteurs italiens, souvent issus de la galaxie catholique, ayant des liens étroits avec le continent. Parmi eux, la Communauté de Sant’Egidio se distingue par sa diplomatie parallèle, soutenue par des réseaux remarquables. Un exemple marquant de son influence est son rôle dans les accords de paix du Mozambique en 1992. Andrea Riccardi, cofondateur de la communauté, a également été ministre de la Coopération internationale dans le gouvernement Monti entre 2011 et 2013. Ces éléments montrent l’importance de Sant’Egidio, mouvement laïc affilié au Vatican, dans les efforts de paix en Afrique. A cela s’ajoutent également des missionnaires combinions ainsi que les ONG catholiques italiennes.

Structure et objectifs

Le Plan bénéficie d’un financement initial de 5,5 milliards d’euros, sous forme de subventions, crédits ou garanties. Trois milliards seront alloués depuis le Fonds national pour le climat, géré par la Banque publique de développement Cassa Depositi e Prestiti (CDP) et supervisé par le ministère de l’Environnement, tandis que 2,5 milliards proviendront du budget de la coopération au développement. Un comité de pilotage, placé sous l’autorité du cabinet du Premier ministre, coordonne le Plan, en assurant la liaison avec divers acteurs clés du système de coopération national, notamment les ministères, la CDP, l’Agence italienne de coopération au développement (AICS), l’Agence italienne du commerce, l’Agence italienne de crédit à l’exportation, ainsi que les autorités locales, les organisations de la société civile et le secteur privé.

Le Plan Mattei a commencé avec neuf projets pilotes répartis entre l’Algérie, la République démocratique du Congo, l’Égypte, l’Éthiopie, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Maroc, le Mozambique et la Tunisie. Ces projets se concentreront sur cinq domaines clés : l’éducation, la formation, l’agriculture, la santé, l’énergie et l’eau. Le Plan vise à établir un nouveau type de partenariat avec les pays africains, fondé sur une approche progressive où les objectifs sont définis conjointement avec les partenaires, tout en s’intégrant avec les initiatives européennes telles que les Team Europe Initiatives et le Global Gateway, ainsi qu’avec d’autres acteurs internationaux, comme les États-Unis et les pays du Golfe. Le Plan Mattei a généré de grandes attentes en Italie, en Afrique et au sein de l’UE, et son approche innovante pourrait redéfinir les partenariats de développement internationaux de l’Italie.

Le Plan Mattei repose sur plusieurs piliers clés :

  • Construire un partenariat paritaire avec les nations africaines, évitant tout approche paternaliste ou prédatrice, et basé sur des bénéfices mutuels.
  • Favoriser une collaboration étroite et continue avec les partenaires africains, basée sur l’écoute et le respect mutuel.
  • Lancer des projets pilotes dans des pays ciblés pour tester et adapter les interventions avant une extension progressive.
  • Collaborer avec des initiatives européennes et internationales pour maximiser l’impact des efforts conjoints.
  • Assurer que les projets apportent des avantages socio-économiques durables aux populations locales, tout en favorisant une stabilité régionale.
  • Mettre l’accent sur les énergies renouvelables pour accompagner la transition énergétique en Afrique.

Ainsi que six axes d’intervention :

  • Éducation et Formation : Favoriser l’accès à l’éducation et la formation professionnelle pour les jeunes générations africaines.
  • Santé : Renforcer les systèmes de santé locaux et améliorer l’accès aux services de santé.
  • Eau : Améliorer la gestion des ressources en eau et l’accès à l’eau potable.
  • Agriculture : Développer une agriculture durable et assurer la sécurité alimentaire.
  • Énergie : Promouvoir l’accès à l’énergie durable et propre.
  • Infrastructures : Améliorer les infrastructures physiques et digitales.

Ces objectifs visent à renforcer les relations entre l’Italie et les nations africaines en répondant aux défis socio-économiques et en promouvant un développement durable et inclusif.

Enjeux géopolitiques et rivalités européennes

La stratégie italienne a été largement soutenue par les principales institutions de l’UE, dont les représentants ont pris part au sommet au Sénat italien. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a souligné que le Plan Mattei représente une contribution majeure à la nouvelle phase du partenariat UE-Afrique et s’aligne avec le programme European Global Gateway. Ce plan pluriannuel, doté de 300 milliards d’euros, vise à améliorer les infrastructures en Afrique, dans le Pacifique et en Amérique latine, avec un objectif de bénéfices durables pour les pays partenaires, en accord avec les valeurs européennes.

Le Plan Mattei s’inscrit pleinement dans les priorités de la politique étrangère de l’UE, malgré les divisions persistantes des États membres sur la question migratoire. Charles Michel, président du Conseil européen, et Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, ont également exprimé leur soutien et leur reconnaissance envers Giorgia Meloni et son gouvernement pour avoir élaboré une telle initiative.

Le Plan Mattei s’inscrit également dans un contexte de rivalité avec la France, perçue comme un concurrent historique en Afrique. L’Italie cherche à tirer parti des critiques croissantes à l’encontre de la présence française sur le continent pour proposer une alternative perçue comme moins intrusive. Cette stratégie vise à renforcer l’influence italienne, notamment dans des pays comme le Niger, où l’Italie maintient une présence militaire significative malgré les bouleversements politiques récents. L’Italie avait jusqu’alors été principalement focalisée sur la Libye, laissant une certaine distance avec l’Afrique subsaharienne. La mission italienne au Niger marque un tournant, en reliant l’intérêt national italien, centré sur la Libye, à la vision partagée par la France, l’Allemagne et les États-Unis pour stabiliser le Sahel. Cette approche combine la lutte contre le terrorisme, la sécurisation des frontières, la lutte contre l’émigration clandestine et le développement local.

Critiques et perspectives d’avenir

Malgré ses ambitions, le Plan Mattei suscite des interrogations quant à sa mise en œuvre concrète et à ses véritables motivations. Certains observateurs y voient une manœuvre politique visant à renforcer la position de Giorgia Meloni sur la scène intérieure, notamment en matière de gestion des flux migratoires. D’autres s’inquiètent de l’utilisation potentielle de fonds destinés à la lutte contre le changement climatique pour financer des projets énergétiques traditionnels, au détriment des énergies renouvelables.

Dans les six mois suivant son lancement officiel, la gestion et l’organisation du Plan ont rencontré plusieurs problèmes critiques : une fragmentation marquée, des difficultés à intégrer les projets individuels dans une stratégie globale, ainsi qu’un manque de clarté et de transparence. Ces enjeux persistent malgré la publication du document programmatique et stratégique en juillet. Bien que le décret du Premier ministre ait apporté des précisions, l’absence d’un mécanisme de traçabilité des projets et de leurs objectifs reste un problème majeur. En particulier, malgré les informations fournies, il semble manquer un calendrier détaillant les différentes phases et les échéances des projets pilotes, ainsi que des indications sur les délais d’évolution de ces projets.

De plus, certains projets mentionnés dans le décret présentent des lacunes significatives en matière d’estimations financières précises et d’identification claire des sources de financement nécessaires pour couvrir les investissements.

Enfin, le choix fragmenté des projets jusqu’à présent n’est pas basé sur des critères d’impact clairs ni sur des objectifs spécifiques alignés avec les plans de développement des pays africains. Cela complique la tâche d’éviter que ces projets ne s’inscrivent dans des dynamiques de clientélisme ou de favoritisme, favorisant des intérêts particuliers, qu’il s’agisse d’entreprises ou de gouvernements.

Les réactions des deux principaux dirigeants africains présents au sommet de Janvier 2024 ont divergé. Azali Assoumani, président en exercice de l’Union africaine, a qualifié l’événement de succès en ce qui concerne les relations équilibrées entre l’Italie, l’UE et l’Afrique. En revanche, Moussa Faki, président de la Commission de l’Union africaine, a critiqué le caractère unilatéral du Plan Mattei, exprimant le souhait que l’Afrique ait été consultée. Cette critique est alimentée par une méfiance envers les promesses non tenues des pays européens, souvent perçues comme intéressées. Toutefois, M. Faki a indiqué que l’Afrique serait ouverte à discuter des modalités du plan.

Au même moment, l’opposition italienne a utilisé la méfiance de l’Union africaine pour prédire l’échec du projet. Cette critique s’inscrit dans un contexte où la gestion de la crise migratoire par les partis populistes, qui plaidaient auparavant pour la fermeture des ports, reste controversée. Un exemple récent est l’accord avec l’Albanie, visant à transférer les migrants secourus en mer vers deux centres d’accueil albanais, une initiative visant à alléger les centres italiens. Cette politique rappelle des initiatives similaires en Europe, comme le Plan Rwanda du Royaume-Uni, destiné à renforcer les frontières et limiter l’accès au territoire. Néanmoins, le Plan Mattei offre à l’Italie une opportunité de redéfinir ses relations avec l’Afrique, en proposant une approche basée sur le partenariat et le respect mutuel. Sa réussite dépendra de la capacité du gouvernement italien à transformer ces intentions en actions concrètes, bénéfiques tant pour l’Italie que pour les pays africains partenaires.