28 octobre 2023

Entre la France et l’Italie : “le paradoxe de la proximité”

Le 28/10/2023

 Dans Les articles du CSI

Deux ans après la signature du traité du Quirinal et l’accostage de l’Ocean Viking, où en sont les relations entre France et Italie ?

Rédigé par : Fabrizio ROMANO, Alessandro POLITI & Ghislain MAINGAUD

L’article en quelques mots :

France et Italie partagent des relations ancrées dans l’Histoire. Nous nous souvenons de ces italiens qui ont contribué à la grandeur de la France : Léonard de Vinci, Catherine de Médicis, Mazarin ou encore Ettore Bugatti. Aujourd’hui, cette proximité culturelle est renforcée par des coopérations dans de nombreux domaines, au point même de faire naitre certaines difficultés. Alors que la ratification du Traité du Quirinal confirme une relation franco-italienne privilégiée, une crise entre Paris et Rome a menacé de se transformer en crise politique en novembre 2022, rappelant un « paradoxe de la proximité ».

Ainsi, deux ans après la signature du traité du Quirinal et l’accostage de l’Ocean Viking, où en sont les relations entre la France et l’Italie ?

France italie

La France et l’Italie : 

Des partenaires commerciaux majeurs

Le traité du Quirinal, signé en novembre 2021, vise à sceller officiellement l’amitié entre la France et l’Italie afin de renforcer leurs liens institutionnels et d’œuvrer au rapprochement de leurs sociétés civiles. France et Italie sont en effet des partenaires commerciaux majeurs : l’Italie est le troisième partenaire commercial de la France, et la France le premier investisseur étranger en Italie. S’agissant des relations culturelles, les échanges sont extrêmement riches entre les deux pays. Ils s’appuient sur un réseau culturel très dense et des institutions prestigieuses telles que la Villa Medici – l’Académie française à Rome. Les deux pays se révèlent être des partenaires importants au regard de l’intrication de leur histoire, de leur culture, et surtout des valeurs qu’ils partagent.

Pourtant, la relation entre la France et l’Italie n’a pas été dans le passé suffisamment structurée, ni même valorisée. En outre, elle a été sujette à des fluctuations importantes au gré d’événements politiques. Nous avons ainsi constaté des situations de « déphasage » qui ont engendré de l’instabilité. L’un des principaux objectifs du traité du Quirinal vise justement à créer un cadre global permettant de dépasser ces aléas conjoncturels.

Aux sources du « paradoxe de la proximité », une évolution des puissances européennes

Comprendre le « paradoxe de la proximité » nécessite une analyse des relations que la France a entretenu avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, nous aurions dû nous attendre à une convergence d’objectifs entre Paris et Londres au regard de leur situation politique en Europe. Or, celle-ci a été affaiblie par les tendances parallèles des deux capitales à faire cavalier seul : la France avec son retrait visible de l’intégration militaire à l’OTAN (mais pas dans la substance avec les accords secrets Lemnitzer–Ailleret) et sa Force de Frappe ; le Royaume Uni avec sa relation spéciale entretenue avec les États-Unis et son arsenal nucléaire dépendant des vecteurs américains.

Cavalier seul ne signifie pas isolé : Londres s’est appuyée immédiatement aux ressorts du Commonwealth et aux voisinages nordiques (Norvège, Pays Bas, Danemark et, bien que neutre, la Suède). Paris, outre ses liens privilégiés françafricains, a également essayé de construire autour de son programme nucléaire des partenariats spéciaux avec l’Allemagne et l’Italie. Évidemment, et c’est une caractéristique de longue durée, la France voulait – et pouvait – être le partenaire senior. Or, le couple franco-allemand est entré en crise lors de la réunification allemande car Berlin avait la volonté graduelle et le pouvoir d’affirmer sa présence. Le « non » conjoint contre l’agression à l’Irak a été la dernière manifestation de cette convergence forte du triangle Paris, Berlin et Rome.

Dans ce contexte, le traité du Quirinal est pensé pour œuvrer à une meilleure structuration de la relation franco-italienne, en favorisant l’émergence de projets concrets dans tous les domaines de coopération.

Le dialogue systématique, un gage de bonnes relations

Le traité a pour objectif de faire émerger une culture administrative commune de sorte que se développe un dialogue systématique entre France et Italie. Un tel rapprochement est rendu possible par des mécanismes de consultation réguliers. Sont notamment prévus : la relance du conseil franco-italien de défense ; la création d’un forum de concertation économique; l’instauration d’un dialogue stratégique sur les transports…

En outre, le traité du Quirinal revêt une dimension européenne affichée par les deux pays. Cette coopération doit permettre l’intégration plus forte des territoires et des sociétés civiles des deux Etats. Les résultats engrangés pour l’Europe grâce au couple franco-allemand démontrent la pertinence d’une telle démarche. La bonne poursuite du projet européen réside donc dans la confiance que les États membres établissent entre eux.

Concrètement, l’avenir des relations franco-italiennes dépendra d’une juste évaluation des besoins afin d’assurer une coopération efficace dans les domaines prévus par le Traité du Quirinal. L’efficacité de cette coopération se mesurera par l’implication des sociétés civiles et administratives dans leur réponse face aux défis actuels.

Partageant la Méditerranée et les problématiques associées à cette région, la coopération de la France et de l’Italie face aux défis énergétiques, militaires et sociaux portés par le Traité revêt un double avantage : renforcer l’union des deux pays et favoriser la construction d’une politique européenne souveraine. En ce sens, le fait qu’un mois seulement après l’entrée en vigueur formelle du traité du Quirinal, le ministre français de l’économie, M. Le Maire, et le ministre italien des entreprises et du Made in Italy, M. Urso, aient signé une déclaration commune en dix-sept points avec une vision partagée pour une stratégie industrielle de l’UE en faveur de la transition verte et numérique, et le fait que, quelques heures plus tard, un accord ait été rendu public pour le développement conjoint de programmes sur le nouveau nucléaire (entre EDF, Ansaldo Energia, Ansaldo Nucleare et Edison), montre que les deux pays ont désormais plus de raisons de s’entendre que de s’opposer lorsqu’il s’agit de faire des choses concrètes qui influent sur leur avenir.

En résumé, il faut abandonner les vieilles idées d’équilibre européen qui ont hanté l’Europe depuis son important chemin d’unification. La France a des atouts évidents, mais elle ne peut pas être la nation-guide parce que le concept même est inapplicable dans l’Europe d’aujourd’hui. Au niveau militaire, quatre capitales font le nerf de l’Europe : Berlin, Paris, Rome et Madrid. Il faut un travail entre partenaires à égalité si on veut construire une Europe vraiment libre et reconduire la « New Europe » dans une logique qui ne soit pas hétéronome (et qui serait accentuée avec l’inclusion sans maturation et discernement de Kiev).

« Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté », pourrait être du Von Clausewitz, mais c’est tout bonnement de Saint Matthieu que vient cette mise en garde…

Les auteurs :

Participant

Fabrizio Romano

“Président-Fondateur de l’Institut pour les Relations Economiques France-Italie”

Fabrizio Maria Romano est un avocat d’affaires international. Il a dirigé le bureau parisien du Studio Legale Macchi di Cellere Gangemi pendant plus de quinze ans. En 2015, il a cofondé l’IREFI dont la mission est de traiter l’aspect interculturel des relations d’affaires franco-italiennes. Il est actuellement “Of Counsel” du cabinet d’avocats Macchi di Cellere Gangemi, membre du conseil d’administration d’Aspen France, vice-président du Comité Dante Alighieri – Paris, ancien vice-président de la Chambre de commerce italienne en France et membre du CEPS.

Logo IREFI

IREFI – Institut pour les Relations Economiques France-Italie

L’Institut pour les Relations Economiques France-Italie (IREFI) est une association bilatérale franco-italienne. Elle a pour mission de faciliter les relations d’affaires entre la France et l’Italie et de fédérer ses acteurs autour de rencontres thématiques et de colloques, en agissant sur le terrain de l’interculturel. L’organisation s’adresse aux entrepreneurs, aux managers et aux représentants d’institutions publiques et privées français et italiens.

Image

Alessandro POLITI

“Directeur de la Fondation du Collège de défense de l’OTAN”

Analyste politique et stratégique mondial avec 30 ans d’expérience, Alessandro POLITI est directeur de la Fondation du Collège de défense de l’OTAN. Il enseigne la géopolitique et le renseignement au SIOI. Il a été chercheur principal pour le ministère italien de la défense sur l’Amérique latine et les questions mondiales. Il a travaillé avec quatre ministres de la défense, tout en étant consultant pour trois autres grands décideurs et plusieurs organismes gouvernementaux.

NATO

Fondation du Collège de défense de l’OTAN

La Fondation du Collège de défense de l’OTAN est le seul groupe de réflexion existant qui porte le nom de l’Alliance. Elle a été créée à Rome en 2011 et est née d’une intuition commune du président Alessandro Minuto-Rizzo et des principaux décideurs du Collège de défense de l’OTAN qui ont compris la valeur d’une ONG à but non lucratif qui pourrait travailler au-delà des activités habituelles et institutionnelles de sensibilisation, de formation, de communication et de recherche scientifique.

Ghislain maingaud

Ghislain Maingaud

“Délégué Général du Cercle de Stratégie et d’Influences”

Délégué Général du Cercle de Stratégies et d’Influences, Ghislain MAINGAUD est étudiant en troisième année de double diplôme de Sciences Politiques et d’Économie entre l’IEP de Fontainebleau – UPEC et l’Università degli Studi di Roma Tor Vergeta. Ses expériences associatives, professionnelles et académiques ont façonné ses compétences dans le domaine des Affaires Publiques et de la Défense, en se spécialisant sur les relations franco-italiennes et l’Afrique. Il est notamment Responsables des affaires publiques du Centre d’Étude et de Prospective Stratégique.

CEPS

Centre d’Étude et de Prospective Stratégique

Le Centre d’Étude et de Prospective Stratégique (CEPS) est un organisme indépendant qui a pour objectif de cerner, d’analyser et de mettre en perspective les facteurs d’évolution technologiques, économiques et financiers du monde contemporain afin d’accompagner aussi bien les entreprises, les institutions que les États à relever le défi d’une interdépendance respectueuse des souverainetés, et créatrice de valeur.

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