Le 07/11/2023
Dans Les articles du CSI
La France saura-t-elle se positionner sur l’évolution rapide du contexte géostratégique afin de garantir à ses armées des moyens adaptés aux conflits de demain ?
Rédigé par : Charles CASALS
L’article en quelques mots :
Les différents conflits régionaux depuis les années 2000 ont vu se développer les drones militaires aériens à voilure fixe. Des pays comme la Turquie, l’Iran, la Chine et Israël font concurrence aux États-Unis, et rendent le marché très concurrentiel. De différents types et envergures, ces drones remplissent principalement des missions de renseignement et de destruction d’objectifs. Leurs coûts sont largement inférieurs aux aéronefs conventionnels, ce qui revisite leur doctrine d’emploi.
Face à ce tournant, l’Europe et la France sont en retard et en déficit capacitaire malgré un rattrapage en cours. Enfin, le retour d’expérience du conflit en Ukraine, marqué par l’usage massif de drones, questionne sur le futur de leurs usages dans les nouvelles échelles de conflictualité.
Introduction:
Depuis les années 2000, les drones militaires aériens peuvent emporter de l’armement en vue de frappes. Le marché des drones s’est développé et diversifié avec la succession des conflits régionaux : Afghanistan, Libye, Syrie… C’est cependant le conflit armé de 2022 en Ukraine qui a mis en lumière l’efficacité des drones sur le champ de bataille. Bien moins coûteux que l’aviation conventionnelle et avec un spectre d’action varié, les drones aériens à voilure fixe (cela inclut l’ensemble des drones avec des ailes fixes, ce qui implique qu’ils soient constamment en mouvement) forment un pilier de la stratégie de défense et contre-offensive ukrainienne.
Les drones dans les conflits forment un enjeu militaire. Ils sont un moyen de renseignement, de destruction, de déstabilisation et de guidage au profit des combattants et de l’État-major. L’enjeu est aussi économique. Le budget militaire est un élément essentiel dans une armée, qui fait l’objet de choix politiques. L’exportation de cette technologie constitue un enjeu géopolitique, en contribuant à l’image de puissance.
Cette synthèse vise à donner des éléments de compréhension sur la place qu’occupent les drones aériens dans le monde et s’intéresse au cas de la France. Le corpus utilisé s’appuie sur des textes majoritairement français, à l’exception de deux articles anglo-saxons. Les informations peuvent manquer de précision et d’impartialité, en lien avec le caractère sensible du sujet. Cette synthèse se limite volontairement aux drones aériens à voilure fixe et n’aborde pas les questions éthiques et légales liées à l’emploi de ces appareils.
Le drone, un vecteur de puissance devenu indispensable pour les armées modernes
Les conflits armés d’aujourd’hui démontrent l’importance du drone aérien. Ne pas disposer d’une capacité dronistique crédible devient un caractère discriminant pour les armées. Du point de vue tactique, ces drones amènent une plus-value.
Ceux de grande envergure, de type MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance), remplissent des missions de renseignement à fort potentiel. Ils embarquent une large gamme de capteurs performants : radar, imagerie satellite… L’autonomie de ces engins dépasse celle de l’aviation (Atlantic-2, Rafale), ce qui augmente le rayon d’action. Parallèlement, les drones MALE peuvent être armés, et procéder à des frappes délibérées (préparées en amont, objectif de la mission) et d’opportunités (frappe effectuée en dehors de la mission initiale, suite à la découverte d’une nouvelle cible potentielle). Les frappes d’opportunité permettent de réduire le délai entre observation et intervention, et ainsi gagner en réactivité.
Les drones tactiques et de contact, plus petits, apportent un soutien direct aux unités sur le terrain. Le couplage entre moyens conventionnels et drones permet de décupler significativement les capacités des armées sur le champ de bataille. Les forces ukrainiennes de 2023 anticipent mieux les mouvements ennemis à l’aide des drones tactiques de reconnaissance, en comparaison avec le conflit de 2014. Elles neutralisent plus facilement les unités au sol (défenses anti-aériennes, chars, personnels) par le biais de la capacité d’emport en munitions explosives de ces derniers. Économiquement, les drones sont une solution à la réduction des budgets et à l’inflation d’une partie du matériel et des appareils. En remplissant les mêmes missions que certains aéronefs, la composante aérienne peut être restructurée à moindre coût. Cela allège la pression sur le matériel, permettant d’allonger la durée de vie des équipements et de réduire les coûts d’utilisation et de maintenance. Le coût opérationnel d’une heure de vol du Rafale est par exemple six fois plus élevé qu’un drone MALE Reaper, pour des missions pouvant être similaires.
Un marché mondial marqué par la présence de puissances régionales
Le marché mondial du drone est dominé par les États-Unis. Ils disposent de la flotte la plus performante et diversifiée du monde. En parallèle, il y a une émergence des puissances régionales telles que la Turquie, l’Iran, Israël ou la Chine. Ces pays sont compétitifs dans certains segments de marché. Turquie et Iran se spécialisent dans les drones tactiques. Chine et Israël se positionnent, en plus de ces derniers, sur les drones MALE. Leurs appareils sont moins performants que ceux des américains, mais sont plus compétitifs à l’exportation. L’équivalent chinois du Reaper américain, le CH-4, est vendu deux fois moins cher. Ces puissances régionales se positionnent alors comme des alternatives crédibles et “bon marché” face aux grandes puissances occidentales. Cela contribue à une diplomatie du drone, dans l’objectif de valoriser l’industrie d’armement et renforcer les alliances politiques et militaires. Les drones turques TB-2, utilisés sur le théâtre ukrainien et dans le Haut-Karabakh, font la promotion de la Turquie à l’international et renforce son image de puissance militaire. L’État d’Israël fait également partie des concurrents. Les pouvoirs politiques ont placé le drone parmi les technologies à développer en priorité. Son industrie de haute-technologie est reconnue : elle exporte son drone MALE Heron et son drone tactique Hermes partout dans le monde, jusqu’à fournir la Bundeswehr, l’armée allemande.
La place de l’Europe, tout comme celle de la France, est faible. Un projet mobilisant l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la France, est tout de même en train d’émerger, celui de l’Eurodrone. Drone aérien de type MALE, cet aéronef vise à favoriser le made in Europe, pour remplacer les Reaper américains. Cependant, la coordination entre les acteurs est difficile, en lien avec les divergences de chaque armée sur les besoins opérationnels. Entre autres, le choix du moteur et les perspectives d’armement de l’appareil ont divisé, et mené à des retards et modifications non négligeables. Initialement prévue pour 2025, la livraison des quatre Eurodrone commandés par la France est estimée pour 2028.
État des lieux industriel et capacitaire des drones aériens en France
Les progrès dans les technologies et les communications amènent à des cycles d’innovation courts. Le marché des drones évolue vite, au même rythme que l’augmentation de l’autonomie des batteries et de la miniaturisation des appareils. L’industrie française de l’armement est performante. Elle repose sur un savoir-faire reconnu et des ingénieurs hautement qualifiés. Thales, Dassault ou Safran sont à même de produire des technologies militaires à la hauteur des besoins actuels. Cependant, l’industrie française n’a pas su prendre le virage du sans pilote. Elle est aujourd’hui en retard face aux concurrents cités. L’armée française se fournit principalement à l’étranger, ce qui impacte son autonomie stratégique, c’est-à-dire sa capacité à pouvoir mener des opérations militaires sans avoir recours à des moyens étrangers. Ce retard industriel est un désavantage par rapport aux autres pays, qui gagnent en compétitivité et bénéficient du retour de l’expérience sur le terrain. Les TB-2 turcs sont amenés à être modernisés, aux vues de leur emploi massif sur les théâtres d’opération.
L’armée française emploie en 2023 une dizaine de drones différents, contre un seul en 1995. La flotte MALE française est composée de douze Reaper achetés aux américains. Elle permet de mener les opérations de renseignement et de destruction de grande envergure. Il convient de noter que 60% des frappes au Sahel en 2020 ont été réalisées par les drones Reaper (rapport d’information 711, Sénat, 2021). Sur les drones tactiques, la France ambitionne d’avoir vingt-huit Patrollers made in France opérationnels d’ici 2030, en accord avec Safran. C’est un rattrapage pour l’armée de Terre qui ne disposait jusqu’ici d’aucun drone tactique moderne. Le défi de la prochaine décennie pour les drones aériens de longue portée est le développement d’un drone de combat furtif sans pilote de type HALE (haute altitude longue endurance). Dans ce secteur, la France affiche de bonnes performances. Le développement du drone nEUROn par Dassault marque la volonté de devenir un acteur de premier plan. Développé avec des partenaires européens à titre de prototype, il a pour objectif de préparer les nouvelles générations de drones de combat furtif.
Perspectives
La France affiche un retard significatif dans la majorité des drones aériens à voilure fixe, malgré son potentiel industriel. Si la loi de programmation militaire (LPM 2024-2030) cherche à combler les lacunes en dotant les armées de cinq milliards d’euros pour les drones, un travail de fond doit être entrepris. La prise en compte des nouveaux enjeux par les acteurs politiques est primordiale. Cela passe par une fluidification et une coordination dans le développement des projets nationaux et européens.
Le dialogue entre industriels, politiques et militaires est essentiel pour cerner les besoins des armées.
Les efforts produits, notamment sur le Patroller et le nEUROn doivent être maintenus pour ne pas décrocher au cours des prochaines années. Cependant, les retours d’expériences du théâtre ukrainien tendent à remettre en question l’usage du drone aérien de grande envergure. En effet, les conflits symétriques (conflits où les acteurs sont de même nature et ont des moyens de même ordre) entre États mènent à une contestation de l’espace aérien. Soumis aux pressions des défenses anti-aériennes, les drones d’envergure ne peuvent assurer leur protection. Le recours à des drones moins coûteux et plus rustiques sont donc plus à même de répondre aux besoins des combattants, mais aussi à satisfaire les impératifs d’économie de guerre. C’est en cela que l’apparition de munitions rodeuses (drones autonomes composés d’une charge explosive qui explose et se détruit au contact de la cible), qualifiées de «drones kamikazes» comme le Shahed-136 iranien ou les Switchblades-300 américaines, ont rencontré un franc succès sur le champ de bataille ukrainien.
Reste à savoir si la France saura se positionner sur l’évolution rapide du contexte géostratégique afin de garantir à ses armées des moyens adaptés aux conflits de demain.
Auteur :
Charles Casals
“Rédacteur pour le Cercle de Stratégies et d’Influences”
Rédacteur pour le Cercle de Stratégies et d’Influences, Charles CASALS est étudiant en master 1 Géographie parcours Géopolitique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Par son cursus universitaire et son parcours associatif, il cherche à enrichir sa connaissance et sa réflexion sur la géopolitique. À la base de son cheminement, une volonté d’appréhender au mieux les déterminants des conflits, par le prisme de cette discipline. Il s’intéresse principalement aux sujets de défense, qui sont au cœur de la notion de conflictualité.