Le 09/04/2024
Dans Les articles du CSI
L’avenir de l’économie mondiale est-il en péril ?
Rédigé par : Kevin COMBE
Annoté par : Maxime MAURY
Dans cet article, Kevin Combe place le focus sur les mécanismes financiers des puissances mondiales et leurs capacités à lutter face à ce phénomène inflationniste intemporel. Une réflexion annotée par le brillant Dr Maxime Maury qui pose, selon ses mots, “quelques questions dérangeantes sur l’inflation et le retour de la stabilité.”
Introduction :
L’inflation, ou la menace planant sur l’ensemble du système économique mondial. Pour autant, elle est nécessaire au bon fonctionnement d’une politique économique donnée comme en atteste la Banque Centrale Européenne, avec une hausse régulière et modérée des prix de l’ordre de 2 %, signe de croissance économique.
Cependant, l’économie au sens large du terme est dépendante des variations tant du marché que des évènements politiques ou sociaux. Le conflit russo-ukrainien en illustre parfaitement l’idée. Face à ce dernier, nous avons constaté une embellie des prix des biens de consommation de manière importante en Europe (+11.9 % sur l’année 2022) et plus particulièrement en France avec une augmentation de près de 17.9 % entre janvier 2022 et août 2023 [1].
Une bonne politique économique pose ses bases sur 4 piliers :
– La croissance ;
– La stabilité des prix ;
– Le plein emploi ;
– L’équilibre des échanges extérieurs.
En ce sens, repenser le système économique, c’est aussi faire l’impasse – ou le bond en avant – sur des principes donnés. Dans la plupart des pays européens, faire face à la pandémie de COVID-19 répondait d’un impératif de politique macroprudentielle, autrement dit d’assouplissement des exigences financières, dans le but de permettre une relance de l’économie plus facile, par un accès à l’emploi plus simple. Pour autant, dans des politiques monétaires, plus austères, l’envolée des prix est mesurée et contrôlée, et l’inflation produit donc moins d’effets. Mais en retour, ces politiques ont un effet négatif sur l’emploi, le pouvoir d’achat et la production [2].
Cela suppose qu’il faille revoir sa copie en matière de gestion de politiques économiques et publiques en intégrant la dure réalité d’un retour aux prix pré-COVID-19 et conflit opposant Russie et Ukraine comme étant impossible. L’une des raisons venant s’ajouter à cette nouvelle dynamique est également liée aux bénéfices importants dégagés par les grandes entreprises sur les deux dernières années, notamment par l’intermédiaire de l’augmentation des marges (+32 % en 2023) et l’envolée des prix de l’énergie (+40 % en moyenne en Europe).
L’imbrication de facteurs géopolitiques puis conjoncturels doivent nous permettre de repenser et renforcer notre système commercial multilatéral.
Dès lors, ce sont des dynamiques variées qui s’opposent. La volonté européenne de solidifier le socle de compétitivité largement défendu par la France et l’Allemagne s’oppose ainsi au modèle américain qui depuis l’année 2022 a pu faire émerger l’Inflation Réduction Act, qui vise à renforcer le modèle américain aux valeurs conservatrices avec une certaine incitation fiscale aux entreprises à créer l’emploi sur le sol américain, quitte à sacrifier les principes mondialistes.
C’est un jeu d’influences et de stratégies diverses et variées auquel nous sommes, et serons confrontés dans les années à venir. L’exemple russe peut aussi témoigner d’une volonté de diversifier tant bien que mal son économie en dépit de ces facteurs inflationnistes (+7.4 % en 2023) sur une refondation en économie de guerre, valorisée par la multiplication d’accords bilatéraux signés avec la Chine, atteignant un pic de près de 27
% en matière d’échanges de biens et services sur l’année 2023. On retrouve dans cette stratégie la volonté de s’unir notamment en matière d’armement. Du côté du Kremlin, remobiliser l’économie passe par des investissements massifs dans l’armée, un keynésianisme militaire faisant basculer la politique économique russe dans la restructuration de son économie servant à lutter contre l’inflation, mais aussi à influencer le jeu politique international.
Démontrer que l’on est capables de concentrer 6 % de son PIB dans l’armée est un euphémisme pour le Kremlin, une démonstration de ce que la Russie souhaite renvoyer aux yeux du monde : une politique économique capable de jongler avec les sanctions européennes et les données conjoncturelles auxquelles elle est confrontée [3].
Pour autant, les exemples susmentionnés traitent du cas par cas, mais les dynamiques sont belles et bien mondiales, voire continentales. Le plan « relance et résilience » de l’Union Européenne ambitionne de consacrer 806 milliards d’euros à la reprise économique du continent [4] pour faire face à la question inflationniste ou sanitaire, voire militaire. Mais à l’heure où les altermondialistes alternent entre chaud et froid, c’est aujourd’hui une autre question qui cristallise l’attention : la transition écologique.
En effet, il semblerait qu’il y ait un intérêt à atteindre les objectifs fixés par les institutions supranationales telles que l’UE, dont les pays membres ont pour mission de consacrer 37
% de leur budget au climat et 20 % au secteur numérique. Qu’est-ce que cela suppose ? Il faut y voir un plan global de relance, mais aussi de résistance face aux puissances telles que la Russie ou la Chine, voire les BRICS dans leur ensemble. Pourquoi ? Car à ce jour, l’influence de ces pays est en grande croissance.
En effet, sur la simple année 2023, on dénombre près de 60 demandes auprès du groupement qui, élargi au 1er janvier 2024 avec l’entrée de l’Égypte ou encore de l’Arabie Saoudite, de l’Iran ou de l’Éthiopie, renforce son assise politique et économique sur le jeu politique international, faisant émerger par ailleurs une succursale de son groupe avec les
« BRICS+ » qui constituent une véritable force de frappe économique (35.6 % du PIB mondial en 2022) [5].
Ainsi s’ouvre une partie d’échecs mondiale, entre politiques économiques différentes et objectifs divergents. Mais dans plusieurs cas de figure, une plus grande coordination des politiques serait profitable. Une plus grande coordination internationale doit répondre aux besoins, conflits, ou défis futurs.
[1] Élargissement des BRICS : quelles conséquences potentielles pour l’économie mondiale ?, Banque de France. URL : https://www.banque-france.fr/fr/ publications-et-statistiques/publications/elargissement-des-brics-quelles-consequences-potentielles-pour-leconomie-mondiale
[2] Le plan de relance européen : poser les bases de la reprise française. URL : https://france.representation.ec.europa.eu/strategie-et-priorites/le-plan-de-relance-europeen_fr
[3] Desrosiers, É. (2024, 23 février). La Russie a répondu aux sanctions par une économie de guerre. Le Devoir. URL : https://www.ledevoir.com/economie/807766/analyse-russie-repondu-sanctions-economie-guerre?
[4] Quand les politiques macroprudentielles et monétaires peuvent-elles être en conflit ? (2022, 7 avril). Banque de France. URL : https://publications.banque-france.fr/quand-les-politiques-macroprudentielles-et-monetaires-peuvent-elles-etre-en-conflit
[5] Confrère, E. (2023, 13 novembre). Inflation alimentaire ; : pourquoi la France fait figure de mauvaise élève en Europe. Le Figaro. URL : https://www.lefigaro.fr/conso/inflation-alimentaire-pourquoi-la-france-fait-figure-de-mauvaise-eleve-en-europe-20231113
Les notes du Dr Maxime MAURY :
“Quelques questions dérangeantes sur l’inflation et le retour de la stabilité.”
À l’heure où les indicateurs d’inflation convergent vers 3%, plusieurs questions dérangeantes appellent l’attention. J’en vois au moins quatre :
• L’inflation sous-jacente ;
• La bulle d’actifs ;
• Le prix de l’énergie ;
• L’incertitude sur les taux d’intérêt.
1) L’inflation sous-jacente :
C’est la véritable tendance de l’inflation. Elle est mesurée par la hausse des salaires et du prix des services. Aux États-Unis , elle est de 4-5 % encore. Dans la zone euro 3-4 % environ. C’est le retour de ces chiffres vers 2-3 % qui permettra aux Banques centrales de baisser les taux d’intérêt, vraisemblablement au second semestre.
2) La bulle d’actifs :
On parle « d’inflation des actifs » au sujet du prix de l’immobilier et de la Bourse. C’est une partie prenante de l’inflation.
Le montant total des liquidités en circulation est évalué à 6000 milliards, soit l’équivalent de deux années de PIB de la France. Témoin d’une forte création monétaire depuis 20 ans (Cf. Jacques de Larosière : « Pour en finir avec l’illusion de la finance »), elle a poussé les actifs à des niveaux artificiellement élevés et non durables.
La surévaluation du prix de l’immobilier était estimée par l’INSEE à 37 % il y a quelques mois. Partout dans le monde ils ont doublé en 20 ans.
Les Bourses battent des records inexpliquables par le mouvement de l’économie réelle : les PER (« price earning ratios ») dont la moyenne de longue période est de 12-14 sont fréquemment à 40 voire plus pour les valeurs emblématiques.
C’est bien une forme d’inflation.
3) Le prix de l’énergie :
Nous sommes sur le pic pétrolier selon le Shift Project de Jean-Marc Jancovici.
Même s’il n’y a pas de relation directe et immédiate entre le prix du pétrole et sa rareté à terme , le rythme des découvertes est tombé très bas. Le monde ne maintient sa consommation que grâce aux pétroles de schistes et de sables bitumineux dont les rendements sont faibles.
Pour assurer le « tout électrique » la production mondiale de métaux devra être multipliée par 7 d’ici à 2040.
Nous entrons donc dans un monde où l’énergie restera tendanciellement chère. S’ajoutent à cela les risques géopolitiques.
4) L’incertitude sur les taux d’intérêt :
Dans ce contexte « post-inflationniste » mais pourtant toujours inflationniste, les Banques centrales ne baisseront pas complètement leur garde. Elles ont annoncé qu’elles poursuivront leur politique de réduction de la taille de leurs bilans. Cela revient à renouveler une partie de plus en plus faible des titres publics arrivés à échéance.
On peut donc avoir une baisse des taux d’intérêt court terme combinée à une hausse des taux longs. D’autant que ceux-ci ont déjà baissé à l’automne dans l’anticipation de la baisse des taux courts.
En conclusion, il faut éviter les raisonnements simplistes que l’on lit généralement dans la presse. La lutte contre l’inflation et le rétablissement de la stabilité est loin d’être terminée.
***
Sincères remerciements au Dr Maxime Maury pour son soutien au Cercle de Stratégies et d’Influences et l’apport de son expertise à nos travaux.
Les auteurs :
Kevin COMBE
“Rédacteur pour le Cercle de Stratégies et d’Influences”
Kevin COMBE est diplômé d’un master 2 en sciences humaines et sociales, spécialisation « métiers du politique ». Par le biais de son parcours universitaire et de ses différentes expériences professionnelles, Kevin s’est spécialisé sur le sujet de l’influence et des dynamiques politiques françaises et internationales.
Maxime MAURY
“Professeur et Ex-directeur régional de la Banque de France”
Le Dr Maxime MAURY est professeur affilié à Toulouse Business School et à l’Institut catholique de Toulouse. Officier des Palmes académiques, il a notablement été directeur régional de la Banque de France à Toulouse (2016-2019), Clermont-Ferrand (2009-2015) et Caen (2007-2009), ainsi que directeur départemental de la même institution à Troyes et à Arras.